Lors de leur rencontre très attendue mercredi à Genève, Joe Biden et Vladimir Poutine ont salué des échanges constructifs. Les deux chefs d’État ont affiché leur volonté d’apaiser les tensions tout en restant avares en annonces concrètes.
« C’était une assez bonne première rencontre », a estimé Ian Bremmer, président de la société d’expertise Eurasia Group, à l’issue de l’entretien entre Joe Biden et Vladimir Poutine. « Je pense que les deux camps ont décidé de souffler un peu et de voir s’il est possible d’améliorer les relations », a-t-il dit l’AFP. Après des attaques formulées à distance, ce face-à-face apaisé a jeté les bases d’une relation personnelle pragmatique.
À Genève, les deux hommes ne se sont pas présentés ensemble devant les journalistes, mais le drôle de dialogue instauré par la succession des conférences de presse, ponctué de clins d’œil, a donné l’impression d’un échange beaucoup plus équilibré.
« C’était important de se rencontrer en personne », a jugé Joe Biden. Le dirigeant américain a souligné qu’il considérait la politique étrangère comme « le prolongement logique des relations personnelles ».
Une rencontre « informelle » et « constructive »
« Il a parlé de sa famille, de ce que lui disait sa maman (…), cela en dit beaucoup sur ses valeurs morales, c’est assez séduisant », a d’ailleurs glissé le Russe au sujet de l’Américain. La rencontre, qui a duré plus de trois heures, était « informelle », a indiqué ce dernier, exprimant un amusement discret.
Des deux côtés, un même satisfecit sur des entretiens à la tonalité « positive » (Biden), « constructive » et sans « aucune animosité » (Poutine).
Un bilan qui se distingue des formules tranchantes échangées ces derniers mois – le nouveau président américain avait estimé, en réponse à un journaliste, que Vladimir Poutine était « un tueur », suscitant un début de crise diplomatique entre deux puissances rivales et dont les relations étaient déjà au plus bas depuis la fin de la Guerre froide.
À Washington, de nombreux élus républicains avaient mis en garde le président démocrate contre un sommet qui, à défaut de déboucher sur des résultats concrets, risquait de faire le jeu du maître du Kremlin.
« Cela aurait pu beaucoup moins bien se passer »
Joe Biden semblait surtout soucieux de se démarquer de son prédécesseur Donald Trump qui, à force de vouloir instaurer un lien amical avec son homologue russe, avait paru en position d’infériorité lors de leur conférence de presse commune de l’été 2018 à Helsinki. Ce qui lui avait valu des critiques virulentes jusque dans son propre camp.
Avant et après le tête-à-tête en Suisse, Joe Biden a refusé de réitérer cette attaque frontale, préférant qualifier son homologue russe de dirigeant « intelligent » mais « dur ». L’intéressé a manifestement voulu tourner la page lui aussi, jugeant « satisfaisantes » les « explications » de son homologue américain.
« Cela aurait pu beaucoup moins bien se passer », observe Yuval Weber, chercheur au cercle de réflexion Wilson Center. « Ils auraient pu échanger des noms d’oiseaux, se faire la leçon, avoir un dialogue de sourds ».
En déclarant que son interlocuteur est « un adversaire qui doit être reconnu à sa juste valeur » et que la Russie est « une grande puissance », le président américain a voulu, selon Yuval Weber, « dire des choses dont Poutine peut ensuite se saisir pour redorer le statut de la Russie ».
Peu de conséquences concrètes
Cette rencontre augure-t-elle une réelle embellie ? Pour l’heure, les résultats concrets sont quasiment inexistants. Joe Biden a certes évoqué « une perspective sincère d’améliorer de manière significative les relations », il a aussi assuré à plusieurs reprises qu’il n’avait nullement décidé de faire « confiance » à Vladimir Poutine, et que seul l’avenir dirait si cette amélioration se concrétiserait.
L’expérience l’incite à la prudence. En 2001, le président américain de l’époque, George W. Bush, avait salué « un dirigeant remarquable », avant une nette dégradation. Et Barack Obama, dont Joe Biden était le vice-président, avait tenté un « reset » (« redémarrage ») des relations américano-russes. En vain.
Le scepticisme demeure
L’actuel président reste donc pragmatique et place la barre relativement bas. « Biden est quelqu’un qui veut des relations constructives, il ne considère pas Poutine comme un ami pour autant », explique Ian Bremmer. « Il s’attend à ce que la Russie agisse dans ses propres intérêts, et comme les deux pays ont certains intérêts convergents, ils peuvent travailler ensemble » sur ces sujets.
Mais pour constater un vrai réchauffement, poursuit cet expert, « je veux voir une diminution drastique, dans les trois prochains mois, des attaques aux rançongiciels venues de Russie, et rien de l’échelle de celle qui a visé Colonial Pipeline », le groupe d’oléoducs paralysé en mai, provoquant des pénuries d’essence dans plusieurs grandes villes des États-Unis.
Le scepticisme est plus fort encore dans les rangs de l’opposition américaine. Le sénateur républicain Jim Risch a déploré une « occasion manquée de rechercher une nouvelle approche qui s’attaque vraiment au comportement néfaste de la Russie ».
Avec AFP