Au Nigeria, un entrepôt d’aide alimentaire pris d’assaut par une foule “affamée”

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Des centaines de personnes ont attaqué les 24 et 25 octobre un entrepôt où étaient stockés des denrées alimentaires et humanitaires dans la ville de Jos, au centre du Nigeria. Ces violences s’inscrivent dans un climat tendu dans le pays, entre manifestations contre les violences policières, pandémie de Covid-19 et aggravation de la situation économique, et qui aurait dû justifier le distribution de ces denrées selon beaucoup de Nigérians. Le gouvernement a assuré que les aides seraient distribuées correctement mais peine à convaincre. 

Dans des vidéos publiées le 24 octobre, une immense foule entoure l’entrepôt de l’Agence d’Etat de gestion des crises située à Jos, la capitale de l’Etat du Plateau au Nigeria. Certains manifestants, entrés par effraction dans le bâtiment, jettent à la foule des sacs de céréales depuis le toit. 

Cette vidéo publiée sur Twitter le 24 octobre montre des centaines de personnes en train de piller un entrepôt de Jos, au Nigeria, alors que d’autres se rassemblent pour observer la scène. 
Par la suite, des personnes transportent des sacs sur lesquels ont peut lire “pas à vendre” en anglais. 

Après le pillage d’aides alimentaires liées au Covid-19 à Lagos le 22 octobre, notamment du sorgho, du maïs, du riz et des pâtes, des rumeurs ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. De nombreuses publications suggéraient que d’autres entrepôts du pays pouvaient en contenir, notamment à Jos.
Ces rumeurs ont déclenché des mouvements de foule en direction des entrepôts de la ville, mais aussi de la résidence d’un homme politique. 

“Il n’y a pas eu de bagarres, seulement quelques disputes”

Une vidéo publiée le 24 octobre sur Twitter montre des personnes jeter des sacs de nourriture à d’autres situées en contrebas. 

Emmanuel (pseudonyme) est un entrepreneur originaire de l’état du Plateau, il a entendu parler de l’assaut sur les réseaux sociaux. Il a souhaité garder l’anonymat.

J’ai vu des appels lancés sur Twitter aux habitants de Jos pour qu’il repèrent et prennent d’assaut les entrepôts contenant les aides liées à la pandémie de Covid-19. Je suis issu d’une famille de classe moyenne inférieure, donc la nourriture n’est pas encore un problème pour nous, mais j’ai décidé de rejoindre ceux qui s’en prenaient à l’entrepôt en signe de solidarité avec le sentiment général de mécontentement et la rage de la population face à la mauvaise gestion du pays. 

Dès que je suis arrivé sur place, j’ai remarqué que certaines parties du toit avaient déjà été arrachées. Des sacs de denrées alimentaires (maïs, sorgho) avaient déjà été jetés du toit, lancés vers la foule et transportés un peu plus loin. Il n’y a pas eu de bagarres, seulement quelques disputes pour savoir à qui revenait tel sac jeté du toit. Pendant ce temps-là, des personnes essayaient déjà de se servir elles-mêmes en créant d’autres passages pour accéder à l’intérieur de l’entrepôt. La foule grossissait rapidement. Ca ne serait pas exagéré de dire qu’elle avait triplé entre le moment de mon arrivée et celui de mon départ. 

D’autres pillages du même genre se sont produits à travers tout le pays. 

Une vidéo publiée sur Twitter le 22 octobre montre le pillage d’un entrepôt de Lagos. 
Une vidéo publiée le 23 octobre montre des personnes porter des sacs extraits d’un entrepôt dans l’état d’Ekiti. 

Des stocks en attente de distribution 
Les inscriptions sur les sacs de nourriture de l’entrepôt de Jos indiquaient qu’il s’agissait d’aides distribuées par le gouvernement fédéral du Nigeria. Des vidéos filmées à l’intérieur du bâtiment montrent des piles de ces sacs sur plusieurs niveaux. 

Sur une photo envoyée par l’un de nos Observateurs, on peut voir un sac sur lequel est écrit “ Aides alimentaires de la République fédérale du Nigeria”.
Une vidéo publiée sur Twitter le 24 octobre montre l’intérieur de l’entrepôt avec des sacs de céréales empilés presque jusqu’au plafond. 

En avril, le président du Nigeria avait demandé au ministère de l’Agriculture et du développement rural de lancer la distribution de 70 000 tonnes de céréales. Mais en voyant des entrepôts pleins à ras-bord à travers tout le pays, de nombreux Nigérians se sont demandés pourquoi certaines provisions n’avaient pas été distribuées.  

L’état du Plateau a nié avoir fait des réserves en raison de la pandémie de Covid-19. Dans un fil Twitter, les autorités ont martelé que ces aides avaient été livrées par le gouvernement fédéral le 16 octobre et qu’elles allaient être distribuées dans l’immédiat, mais que les distributions avaient été perturbées par le mouvement de manifestations contre les violences policières. 

D’autres états ont déclaré qu’ils attendaient des directives de l’exécutif avant de distribuer leurs aides, ce que le gouvernement fédéral a nié.

“Le gouvernement cache ces aides alimentaires alors que son peuple meurt de faim” Michael (pseudonyme) est un étudiant de 23 ans à Jos, il estime que l’assaut est le symptôme d’une précarité grandissante au Nigeria. 

Les gens ont décidé d’aller là-bas parce qu’ils souffrent et parce qu’ils sont affamés. Quand je suis arrivé, chaque personne essayait de récupérer la nourriture pour soi. Je me suis senti mal, comment peut-on avoir un gouvernement aussi mauvais, qui cache ces aides alimentaires alors que son peuple meurt de faim ? Il y a de la faim et de la famine à cause d’une forte inflation sur les prix des denrées alimentaires au marché, et tout le monde ne peut pas se payer à manger à cause du manque d’emplois et du niveau très bas des salaires. 

Environ 68% des ménages nigérians souffrent de l’insécurité alimentaire suite à la pandémie de Covid-19, qui a touché plus de 60 000 personnes et tué 1 132 autres dans le pays depuis mars. Avec une inflation de près de 17% en septembre, de plus en plus de Nigérians n’ont plus les moyens de se nourrir convenablement. 

Le gouvernement et la police de l’Etat du Plateau ont donné aux habitants jusqu’au 28 octobre pour rendre les aides volées, sans quoi ils risquent d’être arrêtés. Pendant ce temps-là, plus de 300 personnes ont déjà été arrêtées pour des soupçons de pillage et la police a identifié une personne comme étant la source de la mobilisation sur les réseaux sociaux.  

Suite aux pillages à travers tout le pays, plusieurs Etats nigérians ont commencé à distribuer les aides de peur qu’elles soient volées.

Article écrit par Pariesa Yung.

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